Quels impacts ?

Cet aspect est une vraie source de préoccupation dans des pays où le respect des contraintes environnementales comme sociales ne sont pas la priorité. En effet, les terres rares étant des sous-produits de ressources minières, l’obtention d’un produit pur est un processus extrêmement long, gourmand en ressources naturelles et polluant. Mais les applications industrielles des terres rares nécessitent des niveaux de pureté très élevés, jusqu’à 99,9999% pour les luminophores (matériaux utilisés dans les tubes cathodiques). Or, le produit minier brut est un mélange des 17 terres rares, encore appelé “mischmetal” (mélange de métaux) en allemand. Il faut un grand nombre d’opérations pour obtenir d’abord la séparation de ces éléments puis atteindre un tel niveau de purification. Chaque passage implique des rejets d’autant plus polluants qu’une radioactivité est associée aux concentrés de terres rares. La centaine de petites usines chinoises produisant les terres rares à Baotou rejetteraient leurs effluents dans le fleuve Jaune. Comme on vient de le voir, aux impacts environnementaux liés à l’extraction, s’ajoutent ceux induits par les trois étapes nécessaires à cette élaboration des différents éléments :

- Le traitement du minerai
- L’isolement du groupe
- La séparation des éléments du groupe

L’extraction du minerai passe par une concentration mécanique puis un traitement par des appareils à triage gravimétrique en courant d’air. Cette opération a des conséquences sur l’environnement et la santé des travailleurs. Ensuite, le minerai est décomposé par une attaque chimique à l’acide chlorhydrique, sulfurique, nitrique ou par une solution alcaline (soude ou carbonate).

La technique de traitement du minerai brut le plus souvent pratiquée après l’extraction est le concentration (également appelée enrichissement) par broyage et la flottation [1]. Il s’agit de la technique employée sur les principaux sites de terres rares comme à Bayan Obo, à la mine de Sichuan, de Mountain Pass et à court terme également à Mount Weld). On peut résumer le processus d’extraction et de traitement des terres rares de la manière suivante :
- 1ère étape : extraction (le plus souvent à ciel ouvert)
- 2ème étape : broyage du minerai en une fine poudre
- 3ème étape : séparation des métaux rares du reste du minerai ; la méthode la plus courante est la flottation qui utilise beaucoup d’eau et de produits chimiques ainsi qu’une importante quantité d’énergie

La concentration en terres rares à la fin de la seconde étape est faible (entre 1 et 10%) ; elle est grandement améliorée à l’issue de la 3ème étape (entre 30 et 70 %) en laissant d’énormes quantités de résidus : il s’agit d’une mixture composée d’eau, de produits chimiques et de minéraux terreux. Ces déchets sont généralement abandonnés dans des réservoirs naturels ou artificiels entourés de digues, ce qui constitue un risque de pollution à court et long terme. Dans la plupart de cas, ces déchets contiennent des substances radioactives (uranium, thorium et autres déchets), des fluorures, des sulfures, des acides et des métaux lourds. Ce type de stockage peut avoir des conséquences environnementales désastreuses (pollution des sols et de l’eau) à cause de la toxicité des résidus s’il s’écroule ou fuit. Plusieurs causes peuvent conduire à cette extrémité :
- des pluies torrentielles peuvent le faire déborder
- si le stockage n’est pas étanche
- si le stockage s’écroule (pluies torrentielles, construction de piètre qualité, tremblement de terre)

Des conséquence similaires peuvent découler des mines à ciel ouvert abandonnées et des résidus de minerai laissés sur le terrain. De plus, l’extraction et le traitement engendrent également une pollution de l’air due aux poussières toxiques (substances radioactives, métaux lourds) qui se dégagent si des mesures adéquates ne sont pas prises.

Les impacts environnementaux induits par l’extraction minière des terres rares ont été analysés précisément dans un ouvrage [2] dont l’étude porte sur les villes de Huanshe et Renju où l’exploitation minière est très importante. Les effets de l’activité minière des terres rares sur l’environnement (spécialement les argiles latéritiques d’ion-adsorption) portent principalement sur une destruction sévère de la végétation ainsi qu’une dégradation importante des sols et de la qualité des eaux. Détaillons les différents impacts constatés :

Destruction de la végétation naturelle et des terres agricoles

L’activité minière pour extraire des terres rares de type ion engendre la destruction du couvert végétal du site ainsi que le décapage de la couche de terre végétale pour atteindre le minerai et extraire les oxydes de terres rares. Une fois le site d’extraction abandonné, aucune végétation naturelle ne subsiste (ce qui favorise le lessivage des sols), seulement des excavations et des déchets. Les sites d’exploitation minière s’implantent naturellement sur de précieuses surfaces agricoles.

Dégradation des sols

L’extraction de chaque tonne d’oxydes de terres rares produit de 1300 à 1600 m3 de déchets d’excavation. Si des mesures de protection de ces quantités importantes de déchets ne sont pas mises en œuvre, des pluies torrentielles sont susceptibles de faire raviner des mélanges de boue et de pierres sur les terres agricoles, envaser les rivières, les bassins, les réservoirs et polluer les ressources en eau. Cette étude montre que l’érosion des sols dans les zones de stockage des déchets est très importante, atteignant 41800 T/m2, ce qui est 50 fois supérieur à ce qu’elle était sous le couvert végétal initial. Pour endiguer ces effets néfastes à l’environnement, une revégétalisation adéquate du site est nécessaire.

Effets sur la qualité de l’eau

L’activité minière pour extraire des terres rares de type ion nécessite l’utilisation de grandes quantités de sulfate d’ammonium et d’acide oxalique. Pour produire une tonne d’oxydes de terres rares, il est nécessaire d’employer de 6 à 7 tonnes de sulfate d’ammonium et de 1,2 à 1,5 tonnes d’acide oxalique. Les boues générées par les déchets de cette activité minière absorbant une part importante de ces solutions d’extraction, des eaux acides suintent constamment des sites de stockage des déchets, ce qui modifie le pH, augmente l’oxygène consommée chimiquement et envase des eaux de la rivière voisine, qu’il pleuve ou non.

Production de déchets radioactifs

L’augmentation de la demande en terres rares conduit à l’extraction d’éléments lourds de terres rares à partir de la Bastnaésite et de la Monazite ce qui a pour effet de libérer d’importantes quantités d’éléments radioactifs. Ce n’est pas le cas dans les argiles contenant des terres rares à « ion-absorption » (comme dans le sud de la Chine). Il est recommandé aux autres pays de pousser leurs investigations dans ce type de support argileux ou de prévoir dans toutes les étapes du processus d’extraction, de séparation et de remise en état des sols, un traitement prenant en compte ces déchets radioactifs [3].

La séparation des terres rares

La séparation des terres rares se fait soit par des opérations chimiques classiques, par oxydation sélective, par réduction sélective ou par les techniques d’échanges d’ions. La séparation des lanthanides à l’échelle industrielle a validé le développement d’un procédé d’extraction par solvants (sources Sciences et Avenir, docstoc.com).

Zoom : Un reportage présentant le traitement des terres rares en Chine
Ce processus est loin d’être aussi vert que les produits high-tech qui en découlent : il est dangereux, polluant, utilise des produits chimiques toxiques, des acides ; des ouvriers avec pas ou peu de protections ; une pollution de l’air avec des éléments comme le fluor et le souffre, des eaux usées contenant des acides et des matières radioactives. Avec 95% de la production mondiale, la Chine extrait et sépare les éléments sur son sol et en supporte pleinement les impacts environnementaux. La principale source des terres rares se situe dans une mine en Mongolie, Le minerai extrait est ensuite stocké sur les bords d’un lac gelé où, mélangé à de la boue, il attend d’être traité par les usines proches. Cette industrie d’où provient la majorité des terres rares que nous utilisons dans nos équipements (ordinateurs, téléphones portables, ampoules à basse consommation) a rendu impropre à la consommation (même pour les animaux), à l’arrosage, l’eau des nappes phréatiques avoisinantes. Les populations rurales de cette région en payent le prix fort. Les terres rares semblent être l’or noir du 21ème siècle et la Chine projette de bâtir une “Silicon Valley” des terres rares pour attirer les investisseurs. Pour visionner ce documentaire : Rare Earth Mineral Mining in China (Reportage en anglais - 5mn40s)

La société française de chimie présente quelques méthodes de séparation (non, partielle ou complète) des terres rares en vigueur dès les années 1990. Cette présentation est assez technique mais a le mérite de bien mettre en perspective l’énergie, les produits chimiques et le matériel nécessaires à cette étape ainsi que les effluents générés. Pour en savoir plus...

La purification

La purification rejette des métaux lourds comme le plomb, le mercure ou le cadmium. Ainsi la rivière Xiang, dans la province du Hunan, présente à certains endroits une concentration en métaux lourds près de 100 fois supérieure aux standards nationaux. Dans une étude [2] publiée en 2001, il a été mis en évidence que les concentrations de chaque élément des terres rares dans l’atmosphère de 3 sites de la ville de Pékin étaient environ de 10 à 40 fois supérieures à celles enregistrées en Hollande. Ce résultat pourrait être attribué à la richesse des ressources en terres rares et à une utilisation et une production très large en Chine. Une autre étude sur l’accumulation de résidus de terres rares dans l’environnement [4] prévoit que l’utilisation agricole et industrielle des terres rares et les contaminations qui en découlent vont croître rapidement dans les prochaines décennies (Volokh et al.,1990). Une exposition prolongée dans le cadre professionnel, l’environnement ou une alimentation contaminée par les terres rares peut affecter la santé humaine. Certaines maladies ont été identifiées comme étant imputables à l’exposition aux terres rares [5] [6]. Ces éléments nous en rappellent malheureusement d’autres mis en lumière dans les dossiers des filières clandestines de traitement des DEEE en Chine et on s’aperçoit qu’aux deux bouts de la chaîne du cycle de vie des produits « high tech », le tribut payé par l’environnement est très lourd.

Les effets sur la santé

Pour ce qui est de l’aspect santé, une brochure de l’INRS (infosud.org) (Institut National de Recherche et de Sécurité) sur l’exposition professionnelle aux poussières de terres rares montre que l’exposition aux poussières issues de l’exploitation de ces minerais peut être susceptible d’entrainer des pathologies pulmonaires si des précautions ne sont pas prises pour limiter le niveau de poussière sur le lieu de travail. Le peu d’études et de recul sur l’exploitation des terres rares entraînerait dans nos pays des mesures préventives relevant du principe de précaution. Comme nous l’avons vu plus haut, l’utilisation d’eau contaminée par l’activité minière d’extraction ou de séparation des terres rares peut également avoir de graves conséquences pour la santé. La meilleure preuve est que les autorités chinoises en interdisent complètement l’usage dans les zones concernées.

Vue d’ensemble des impacts en Chine

Comme on le sait, la Chine est l’acteur mondial principal dans le domaine des terres rares. Elle exploite plusieurs grandes mines ainsi qu’une importante quantité de petites mines (partiellement illégales). Voici un rapide tour d’horizon des principaux impacts environnementaux relevés dans ce pays [1] :

- Bayan Obo : extraction de surface d’un mixte bastnaesite-monazite contenant des terres rares légères et du thorium ; problèmes environnementaux sévères et risques pour la santé dans l’extraction, la concentration et les processus suivants :

  • durant la phase de broyage du minerai, 61,8 t/an de poussières contenant du thorium sont émises ; l’exposition prolongée aux poussières de thorium conduisent à une augmentation significative des décès dus au cancer du poumon parmi les travailleurs de la région de Baotou (Chen et al. 2004)
  • de plus, les étangs de stockage des déchets ont causé une pollution des nappes phréatiques qui affecte les puits des villages environnants, l’élevage, l’agriculture et la santé des habitants (Buckley 2010) ; sur 100 000 t de concentrés de terres rares traités par an, on estime qu’environ 200 t d’oxyde de thorium sont présents dans ces boues
  • l’utilisation d’acide sulfurique dans la production d’1 t de concentrés de terres rares peuvent libérer dans l’atmosphère entre 9600 et 12 000 m3 de gaz contenant fluorures, SO2, SO3 et des poussières (MEP 2009)
  • pour finir, 75 m3 d’eaux usées acides et 1 t de résidus radioactifs sont générés par t de concentrés de terres rares (MEP 2009)

- Sichuan : autre mine à ciel ouvert produisant des terres rares légères à base de bastnaesite (contenant du thorium également) :

  • la méthode de lixiviation à l’acide chlorhydrique est ici actuellement la plus communément adoptée ; ce traitement produit des effluents et des déchets solides contenant des fluorures et du thorium

- Sud de la Chine : mines à adsorption d’ions produisant des terres rares lourdes ; la technique employée, la lixiviation in situ, consiste à forer des trous dans la couche de minerai et y injecter une solution ; on pompe ensuite la solution contenant le minerai dissous puis on effectue le traitement ; cette technique est jugée moins nocive pour l’environnement par les autorités, cependant elle n’est pas contrôlable hydro-géologiquement

- on estime qu’environ 20 000 t de minerai de terres rares ont été illégalement extraits de Chine ; l’essentiel de ces mines illégales n’ont probablement aucune technologie de protection de l’environnement ; de graves dommages environnementaux et des risques pour la santé ont été rapportés [7]

- au cours des opérations d’extraction, de séparation et de raffinage des terres rares, de nombreux produits chimiques sont employés, conduisant à des quantités très importantes de rejets gazeux, d’eaux usées et de déchets solides toxiques ; la plupart des installations n’ont pas de systèmes de traitement suffisants et quelques petites installation de séparation des terres rares n’ont aucun système de protection de l’environnement

- l’utilisation de l’ammoniaque dans le raffinage des terres rares induit une production importante d’eaux usées ; pour séparer 1 t de concentré de terres rares contenant 92% d’éléments de terres rares, entre 1 t et 1,2 t de bicarbonate d’ammonium sont nécessaires (MEP 2009) ; on estime que dans toute l’industrie du raffinage des terres rares, entre 20 et 25 million de t d’eaux usées sont produites chaque année (sur la base de la production de minerai de terres rares de 2005) ; ces eaux usées contiendraient entre 300 et 5000 mg/l de NH3/NH4+, ce qui excède la limite gouvernementale entre 10 et 200 fois (MEP 2009)

Les résidus de toute l’activité de Bayan Obo représentent un stockage de 12 km de long et 11 km2 ; selon Bradsher (2010), cette surface représente 100 fois la taille du stockage des résidus de l’usine d’aluminium qui s’est écroulé le 4 octobre 2010 en Hongrie, libérant entre 600 et 700 000 m3 de boues rouges toxiques dans la nature (WISE-Uranium 2010)

Une récente enquête de l’AFP (mai 2011) présente les ravages des terres rares en Chine) en décrivant les aspects environnementaux et les conséquences sociales sur les populations locales.

Comment présenter des applications dites « vertes » ou dont l’utilisation aura un effet positif sur l’environnement, quand leur production repose sur l’exploitation de ressources dans des pays qui ne s’embarrassent ni de préoccupations environnementales ni sociales ? Tel est le paradoxe de cette exploitation des lanthanides.

Page mise à jour en Mai 2011

Suite de l’article : évolution des politiques environnementales en Chine

[1] Study on Rare Earths and Their Recycling, Final Report for The Greens/EFA Group in the European Parliament, January 2011

[2] Remediation and management of degraded lands, M. H. Wong, J. W. C. Wong, A. J. M. Baker, chapitre 10 « Impacts of Rare Earth Mining on the Environment and the Effects of Ecological Measures on Soil », 103-110

[3] Rare earth minerals and resources in the world Yasuo Kanazawaa, Masaharu Kamitani, Journal of Alloys and Compounds 408–412 (2006) 1339–1343

[4] Bio-accumulation of environmental residues of rare earth elements in aquatic flora Eichhornia crassipes (Mart.) Solms in Guangdong Province of China, The Science of The Total Environment Volume 214, Issues 1-3, 18 June 2020, Pages 79-85 H. Chua

[5] Sabbioni et al., 1982

[6] Ding et Ma, 1984

[7] Bork 2010, Zajec 2010


-->
Accueil du site | Contact | Mentions légales

Site réalisé avec SPIP + ALTERNATIVES